Apnée
Posté par CHARADE [Admin] le 2023-12-11 13:07:47
Le vieil homme est assis sur le rebord, ses pieds trempent paisiblement dans l’eau, sa canne à pêche à la main il attend patiemment qu’un poisson aventureux se risque à l’appât au bout de l’hameçon.
La saison est douce, le calme est total, le coin de pêche lui semble désert, lui-même ignore depuis combien de temps il est là, la pêche fait partit de ses vides esprit les plus efficaces avec l’alcool, mais il n’en ressent pas le besoin, il a l’impression de flotter.
Le soleil luit de faibles rayons qui réchauffent sa peau sans l’éblouir, au loin une barque mène la sienne sans navigateur, au gré du vent et des marées.
Il perçoit l’écoulement de l’eau, un bruissement de feuilles dans les arbres, ses yeux se ferment tandis qu’il profite de la douceur de la nature en cette saison.
Lorsqu’ils les ouvrent à nouveau, son regard lui joue un tour, au loin sur la barque la silhouette lui apparaît, un instant, seulement. A force de trop contempler les lueurs de l’astre sur l’eau il a fini par s’éblouir, l’ombre n’était sans doute qu’un mirage, ce qu’il a pris pour un homme en noir bien trop habillé pour la saison n’était qu’une image.
Tandis qu’il en revient à l’étendue aqueuse, le sourire aux lèvres, ses sourcils quant à eux se froncent, il perçoit le bruissement de l’eau. La silhouette portait un chapeau. Il ignore pourquoi ce détail lui est revenu en mémoire, aurait-il pu l’inventer ?
Ça ne fait aucune importance, l’eau est claire et la baignade bien qu’incongrue lui donne envie, qui pour lui dire quelque chose, après tout ? Alors qu’il contemple l’étendue du désir, son reflet lui répond, saluant le pêcheur de son chapeau noir. Ça lui donne une certaine allure, il rit un peu à cette idée, puis il plante sa canne à pêche, ferme les yeux et se laisser entraîner sous l’eau par son double.
Les vaguelettes caressent sa peau, il perçoit le faible courant et se laisser porter, il a l’impression de flotter. Cela lui semble durer un instant, cela lui semble durer une éternité.
Puis une voix en lui l’interpelle, un sentiment profond, quelque chose s’anime à l’intérieur.
Respire.
Mû par l’instinct, il s’y essaye, incapable. Ses yeux s’ouvrent à nouveau, son regard se perd sous l’océan, des planches de bois éparpillés et à leurs côtés une forme rougeoyante attirée par le fond, une masse noire flottante à son extrémité.
Lorsqu’il la reconnaît il s’élance, le vieil homme n’existe plus, dans l’eau la douleur elle-même n’existe plus. Il la saisit, le corps de la femme entre ses doigts, tandis que l’homme au chapeau l’entraîne plus profondément encore. La lutte s’opère, mais il est plus fort et ensemble ils sont entraînés vers des profondeurs abyssales qu’il n’a encore jamais explorées, la peur le saisit, le visage de la femme est comme endormi.
De toutes ses forces il lutte, tente de reprendre le meilleur sur son adversaire, tandis que les insectes grimpent le long de sa robe de sang, sa chevelure de jais lui arrive au visage et il perçoit encore son odeur, comme au premier jour, alors il se laisse sombrer.
L’homme abandonne la lutte, ses yeux se ferment, il s’endort aux côtés de l’être aimé, ses poumons se vident. A nouveau il flotte. Entouré des choses qu’il a toujours aimés, les choses qu’il n’a jamais abandonnés.
Respire.
C’est sa voix, à présent, elle ordonne, elle implore, au supplice. Respire. Mû par l’instinct il ouvre les yeux, tiraillé entre la survie et ses sentiments. Le manque d’air et l’amour, deux choses essentielles qui finiront par le tuer à petit feu.
Il ne le connait pas mais déjà il le déteste, son regard orangé, son chapeau, l’allure sinistre qu’il arbore. Pire encore, il le craint.
A nouveau elle lui hurle, cette fois il la reconnaît distinctement.
RESPIRE !
Il remonte, de toutes ses forces, employant les dernières goulées d’air dans ses poumons, sans un regard en arrière, le cœur lourd, la gorge serrée. Puis il le rattrape, parmi les planches de l’épave, le nom gravé passe sous ses yeux : Perle de Mirène.
Son cœur se serre, ils n’ont aucune idée des perles mais aussi des horreurs que renferment la mer, aussi belle que cruelle.
Et à nouveau il l’entraîne vers les profondeurs, l’homme se débat sans y croire. C’est dans sa peine qu’il se noie, l’alcool c’est la planche sur laquelle il flotte dans un océan de désespoir. La peur de l’inconnu le retient, pourtant chaque jour il peine à nager dans une mer de solitude.
Respire.
La dernière impulsion lui est nécessaire et il parvient à s’en extirper.
Vis.
Il vit avec ses obsessions.
Respire.
Un jour elles le tueront.
Remonte à la surface.
Un dernier regard en arrière.
Il est toujours derrière toi.
Un jour elles le tueront.
Tu dois vivre.
Mais pas aujourd’hui.
Il émerge du songe, trempé et esseulé et en repensant au visage de l’être aimé, à la lueur de la bougie il se met encore à pleurer.
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